Face aux impératifs de transformation des entreprises, les employeurs valorisent de plus en plus la capacité à acquérir de nouvelles compétences et à s’adapter au changement.
Les cadres se montrent à nouveau confiants, qu’il s’agisse de la situation économique de leur employeur comme de leurs propres perspectives d’évolution, selon Gilles Gateau, le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Mais de qui parle-t-on exactement ?
Responsables d’équipe, informaticiens, chefs de projet, patrons de la comptabilité, responsables des ressources humaines (RH), développeurs en informatique, experts… « Les cadres – assimilés à des ‘privilégiés’ dans l’imaginaire collectif, et je ne parle pas des cadres dirigeants – forment un groupe hétérogène de salariés. Leur nombre a doublé en trente ans pour dépasser celui des ouvriers. Un salarié sur cinq, fonction publique comprise, est cadre mais moins de la moitié d’entre eux ont des responsabilités hiérarchiques », précise Bruno Mettling, président-fondateur du cabinet de conseil Topics et ancien DRH d’Orange. Ces salariés représentent, selon l’Insee, 5,2 millions de personnes en France et près de 20 % de la population active.
L’obsolescence des compétences les guette
Ceux-là « n’ont pas été épargnés par la crise sanitaire, même s’ils n’ont pas été les plus pénalisés », confiait Gilles Gâteau aux « Echos », fin septembre. « L’idée que les cadres auraient été des planqués de l’arrière, restés tranquilles dans leur résidence secondaire, ne correspond pas à la réalité qu’ils ont vécue : du télétravail forcé à haute dose, de la gestion d’équipe à distance dans une situation de stress majeure », poursuivait le directeur général de l’Apec. S’ils se déclarent de nouveaux optimistes, ils peinent toutefois à dissiper une forme de mal-être. Leur quête de sens et leur difficulté à concilier leurs vies professionnelle et privée, plus particulièrement les femmes, les détournent peu à peu de fonctions liées à leur statut ou encore les conduisent à certaines extrémités, en contradiction avec leurs parcours académiques, puisque 19 % d’entre eux, selon une étude OpinonWay menée pour le métamoteur de recherche d’emploi Indeed, affirment qu’un « métier plutôt manuel » correspondrait davantage à leur idéal. Et ils ne sont pas au bout de leur questionnement : l’obsolescence de leurs compétences les guette à présent, avec en perspective son lot de décrochages et de désajustements par rapport aux besoins réels des entreprises.
Cette menace pose la question de leur employabilité en cas d’inadéquation de leurs compétences, et pousse les organisations à renforcer en leur sein une culture de l’apprentissage et accélérer le rythme de leur transformation. Le chantier ainsi ouvert apparaît immense, compte tenu des enjeux de l’intelligence artificielle (IA), de la robotisation et des métiers émergent.
Formation et rétention
« Un ingénieur thermique va ainsi se reconvertir en ingénieur électrique. Des pans entiers des fonctions RH et finance devraient être pris en charge par l’IA… La capacité à acquérir de nouvelles compétences et à s’adapter au changement est une qualité de plus en plus valorisée par les employeurs et ce sont des centaines de milliers de cadres qui vont devoir évoluer et, comme le pointe le sociologue américain Alvin Toffler, apprendre, désapprendre et réapprendre [les pros des RH parlent aujourd’hui d’« upskilling » et de « reskilling », NDLR] », avance une DRH d’un groupe de services. Voilà qui induit un plan d’urgence. Or, les outils et les pratiques existants ne sont pas toujours à la hauteur. Il va falloir déverrouiller des processus compliqués et lourds et changer de méthode : les entreprises se limitent trop souvent à agréger les besoins exprimés par « les métiers » sans mise en perspective ni analyse d’éventuels fossés de compétences.
La formation continue ne palliant que partiellement les besoins des organisations, l’urgence est de structurer des partenariats ad hoc avec des établissements d’enseignement supérieur et de mieux accompagner les filières pour combler leurs besoins, notamment pour ce qui relève des métiers de la data et de la cybersécurité. Autre impératif : inciter les entreprises à davantage recourir aux contrats d’apprentissage et de professionnalisation, leviers d’ascension sociale pour des dizaines de milliers d’apprentis.
Les cadres, comme tous les autres salariés d’ailleurs, n’ont jamais considéré la formation comme un avantage social. La difficulté, pour les entreprises, va donc consister à investir dans leur formation tout en s’évertuant de les retenir à l’heure où 53 % d’entre eux voient une opportunité dans la mobilité et où 39 % (idem pour les dirigeants, selon une étude Qualtrics) prévoient de rechercher un nouvel emploi au cours des douze prochains mois. On comprend alors que l’ampleur des changements à accompagner va aussi nécessiter de faire évoluer les modes et conditions de travail ainsi que le style de management et de leadership des organisations, notamment pour retenir les plus jeunes cadres et capitaliser sur le savoir faire des séniors, pénalisés par une discrimination liée à l’âge alors qu’ils ont pourtant encore beaucoup à apporter aux entreprises.